On peut adresser beaucoup de reproches aux années 2000. Sans même parler du retrait de la Corée du Nord du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires ou de la crise des subprimes, c’est aussi la décennie où on n’osait plus faire un tube pop sans trafiquer la voix à l’Auto-Tune. La cuisine n’était pas en reste. A Paris, on servait des nems au chocolat au Café Mosaïc de Paul Pairet et du poulet au coca chez Korova, l’adresse de Jean-Luc Delarue ; les animateurs télé faisaient des restaurants qui faisaient des compiles.
En France, parce qu’on mariait la mangue avec la viande, on se targuait de maîtriser la « cuisine fusion » comme les Anglo-Saxons. En réalité, surtout, on ne mangeait pas très bien. Le mélange de cultures ayant laissé de mauvais souvenirs, on s’est longtemps tenu à distance des enseignes qui le revendiquaient. Et puis, ces dernières années, le vent a tourné. Un peu partout en France, on a vu fleurir des adresses métissées et décomplexées, même au Ritz. Et on ne peut pas dire qu’on s’attendait à trouver des influences africaines dans le palace le plus tradi de Paris.
Une nouvelle enseigne très convaincante a ouvert rue Saint-Maur, à Paris, qui s’affirme décidément comme un haut lieu de la gastronomie. La cheffe trentenaire et autodidacte Priscilla Trâm a inauguré son premier restaurant, Trâm 130, en juin dernier. Jusqu’à présent, elle ne s’était jamais posée, enchaînant les résidences à New York, Ibiza ou Paris. Son adresse parisienne n’en fait pas trop sur la déco, avec ses murs en carrelage rectangulaire posé à la verticale et ses chaises Galvanitas en bois et acier, sans fioritures.
Finesse et plaisir
Une manière de dire que c’est dans l’assiette que ça se passe. Et c’est vrai. Dur d’arrêter son choix dans une carte où tout fait envie et où un certain nombre de mots nous échappent. Malgré tout, on comprend facilement qu’il n’y a pas de frontière, que le bistro français (os à moelle, croquette) côtoie le classique italien (risotto). Que Priscilla Trâm apprécie le réconfort américain (ribs de porc), les ingrédients coréens (gochujang) et japonais (miso), mais aussi des techniques cantonaises (char siu).

On valide les ailes de poulet laqué au nuoc-mâm, le risotto d’orzo à la bisque de tourteau et pecorino, tout comme le très léger cheesecake basque. Et surtout, cette salade d’automne som tam, inspirée de la salade de papaye thaïe acidulée et croquante, travaillée ici avec des produits français de saison. Des longs spaghetti de radis blue meat et betterave chioggia sont enveloppés d’une sauce tamarin et rafraîchis par du basilic thaï et de la menthe. Et puis, il y a les bonus : l’acidité de la granny smith et le plaisir irréfragable de la cacahuète saupoudrée. Autant de finesse et de plaisir, c’est pas dans les années 2000 qu’on a eu le droit à ça.
Salade som tam à 12 €. Trâm 130, rue Saint-Maur, Paris 11e. A la carte, compter environ 50 € par personne.
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