Le destin cousu main de Carla Sozzani

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Le titre du livre, en lettres grises, réunit trois mots : Art Life Fashion. Une suite sans ponctuation, comme pour mieux signifier que, chez Carla Sozzani, art, vie et mode cohabitent librement et sans hiérarchie. A travers un récit fouillé de la journaliste Louise Baring et 475 illustrations – photos, dessins, unes de magazines, œuvres d’art, publicités –, c’est toute la trajectoire épique et érudite de cette Italienne touche-à-tout, née en 1947, qui défile page après page.

Rédactrice en cheffe à 26 ans du magazine Chérie Moda, un trimestriel italien tiré à 250 000 exemplaires, Sozzani affirme vite un penchant pour la beauté et l’arte povera, balaie le conformisme, écume les nuits londoniennes, collabore avec la fine fleur de la création italienne, du créateur de mode Walter Albini au photographe Alfa Castaldi.

Styliste à ses débuts, s’associant avec les photographes Hiro, Robert Mapplethorpe ou Peter Lindbergh, elle sera ensuite tour à tour confidente et consultante pour Romeo Gigli dans les années 1980 et, bien sûr, pour Azzedine Alaïa, qu’elle épaula à tous les niveaux et dont elle est aujourd’hui, avec l’historien Olivier Saillard, la gardienne de la mémoire.

Robe Alaïa, dans le « Vogue Italia » de décembre 1986.
Kirsten Owen en Romeo Gigli, collection hiver 1988.

Egalement éditrice et galeriste, Carla Sozzani a fondé 10 Corso Como, en 1991, une adresse milanaise (aujourd’hui déclinée à Séoul et disposant, depuis le 11 novembre, d’un corner au Printemps, à Paris), où elle propose prêt-à-porter, livres, objets de décoration, expositions (Gio Ponti, Yayoi Kusama, Marc Newson…) et café où se restaurer. Une combinaison si inhabituelle que le sociologue Francesco Morace a inventé à l’époque le terme de « concept store » pour le définir.

Comment ne pas tout entremêler quand on est, comme Carla Sozzani, une impératrice du décloisonnement ? Art Life Fashion ne pose ainsi aucune frontière entre le public et le privé, assumant d’être une véritable biographie. Les collaborateurs de Sozzani sont ses amis et ses amis des collaborateurs. Son conjoint, l’artiste peintre et sculpteur new-yorkais Kris Ruhs, devient un partenaire de travail.

Sa petite sœur adorée, la regrettée Franca Sozzani, qui, durant vingt-huit ans (de 1988 à son décès, en 2016), hissa, en tant que rédactrice en chef, Vogue Italia à son meilleur, est tout à la fois membre de la famille, compagne de vacances à Portofino, rivale (elles en pincèrent, en 1970, apprend-on, pour le même « Mr. Fiat », avant de le délaisser l’une après l’autre) et double idéal. « Les gens disaient que les sœurs Sozzani étaient comme des jumelles. Même leur mère confondait leurs prénoms », écrit Louise Baring, décrivant les mondanités où l’une reçoit les compliments que l’interlocuteur pense adresser à l’autre…

Inflexible face aux compromis

L’ouvrage est aussi l’occasion de (re) découvrir NN Studio, une marque que Carla Sozzani façonna entre 1991 et 2000 et où cohabitaient vêtements minimalistes dessinés par le Japonais Norio Surikabe, luminaires, meubles et céramiques. D’une activité à l’autre, à quoi tient alors son style ? Un métissage assumé, mais également une forme de classicisme milanais (« rien ne surpasse la chemise blanche »), un attrait pour l’Afrique, le sens de la famiglia et un caractère affirmé, inflexible face aux compromis.

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Louise Baring rappelle ainsi que c’est à cause de la pression trop forte des annonceurs publicitaires que l’Italienne cessa de collaborer avec le groupe Condé Nast, la maison mère de Vogue, et que son approche, jugée insuffisamment commerciale, la condamnera à l’éviction après huit mois seulement à la tête d’Elle Italia, en 1987. Les « trois numéros et demi » qu’elle y supervisa sont aujourd’hui des collectors.

Le premier « Elle Italia », octobre 1987.

Carla Sozzani. Art Life Fashion, de Louise Baring, Thames & Hudson, 288 p., 68 €. En librairie le 5 décembre.

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Source du contenu: www.lemonde.fr

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