Zeina Abirached, celle qui oppose humour et poésie à la guerre

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Après avoir traversé la guerre civile de 1975 à 1990, la dessinatrice, de passage à Marseille pour «Les nouvelles rencontres d’Averroès» sent à nouveau «la peur» ravivée par les frappes israéliennes qui frappent son pays.

Elle a dessiné sa vie d’enfant dans un Liban déchiré par la guerre civile (1975-1990). Aujourd’hui, l’autrice de bandes dessinées Zeina Abirached sent «le chemin de la peur» ressurgir en elle face aux bombes israéliennes qui frappent son pays natal. «Ce ne sont pas les mêmes événements qui se reproduisent, mais quelque chose se répète dans l’angoisse, dans le chemin de la peur dans notre corps, même pour nous les Libanais vivant à l’étranger», explique-t-elle à l’AFP lors d’un passage à Marseille, pour le festival «Les nouvelles rencontres d’Averroès» consacré au monde méditerranéen.

La peur jamais éteinte

Samedi, elle s’est réveillée en découvrant les vidéos d’une frappe israélienne au cœur de Beyrouth qui a détruit un immeuble résidentiel et fait plusieurs morts. Après un an d’échange de tirs transfrontaliers, Israël est entré en guerre ouverte contre le mouvement chiite Hezbollah le 23 septembre, en lançant une intense campagne de bombardements au Liban, où plus de 3 600 personnes ont été tuées, selon le ministère libanais de la Santé. Avec «les destructions monstrueuses, les civils morts, j’ai été surprise de voir que le chemin de la peur est intact, celui de quand j’étais petite, celui que je pensais avoir soigné, pensé, raconté», poursuit la dessinatrice franco-libanaise, née le 18 janvier 1981 à Beyrouth. Cette peur de «perdre les personnes qu’on aime» mais aussi le pays et le paysage d’une ville bombardée.

Dans ses romans graphiques à succès comme Mourir partir revenir, Le jeu des hirondelles, traduit en 12 langues, ou Je me souviens (Beyrouth), elle a raconté avec humour, pudeur et tendresse le quotidien de sa famille durant la guerre civile. «Aujourd’hui, mes parents qui vivent toujours à Beyrouth sont toujours incroyables, ma mère m’a dit “ne t’inquiète pas, on est en sécurité”, comme ce que disait ma grand-mère lors de la guerre civile, dans mon appartement sans électricité près de la ligne de démarcation qui divisait la ville» se remémore-t-elle. Pour tenir à distance l’inquiétude, Zeina Abirached envoie à ses proches des images de jolies choses qu’elle voit, «parce que je sais combien ça peut faire du bien».

Vivre dans les interstices

Elle s’est approprié cette maxime transmise par sa mère : «Il faut vivre dans les interstices», autrement dit, «continuer à regarder l’horizon, à éprouver des émotions, de la joie, du plaisir», malgré la guerre. « C’est une forme de résistance », affirme-t-elle. Pour conjurer l’obscurité, Zeina Abirached a également recours à l’humour. Dans Je me souviens (Beyrouth), elle évoque avec tendresse la voiture R12 de sa mère, qu’elle voyait, enfant, comme « bleue à pois blancs ». Les pois étant en réalité les impacts de balles sur la carrosserie.

Elle a récemment découvert la poésie des mots du Prophète de Khalil Gibran, auteur libanais emblématique, et en a proposé une première version entièrement illustrée. Ce roman graphique a été publié, par un hasard du calendrier, peu après l’attaque du mouvement palestinien Hamas contre Israël le 7 octobre 2023, ayant causé la mort de 1 206 personnes selon un décompte de l’AFP fondé sur les données officielles. Cette tragédie a été suivie par une offensive israélienne dévastatrice à Gaza, qui a fait plus de 44 000 morts selon les chiffres du ministère de la Santé du Hamas, jugés fiables par l’ONU.

Pour Zeina Abirached, les écrits de Gibran constituent « un refuge face aux épreuves actuelles », porteurs « d’espoir et de sagesse ». Elle en a partagé une lecture en français, accompagnée de la comédienne et chanteuse Tania Saleh en arabe, lors d’une représentation au théâtre national de La Criée à Marseille. Ses dessins en noir et blanc, projetés sur scène, s’y intégraient pleinement. « Le noir et blanc, en se distanciant de la réalité, permettent aux lecteurs de s’approprier l’image et de la compléter dans leur esprit », explique-t-elle.

Cependant, celle qui continue « à croire en l’espoir » admet avoir momentanément interrompu le projet d’écriture sur lequel elle travaillait, bouleversée par les tragédies qui frappent sa région natale. «Je pense que le moment propice sera celui où je pourrai raconter une histoire tragique tout en y insufflant de la lumière. Oui, de la lumière. Et cela demande du temps. »


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Source du contenu: www.lefigaro.fr

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